Le prototype, issu de dix ans de recherches de plusieurs équipes, repose sur des électrodes implantées dans le crâne.
C’est une première, réalisée par des chercheurs français, qui ouvre d’importantes perspectives pour les tétraplégiques. Paralysé des quatre membres depuis une chute il y a quatre ans, Thibault parvient aujourd’hui à diriger par la pensée les mouvements d’un exosquelette – une sorte d’armure motorisée.
« C’est un message d’espoir pour les personnes dans le même état que moi : il y a des choses possibles, même si on a un gros handicap », explique ce jeune Lyonnais de 28 ans, premier patient d’un essai clinique mené par Clinatec, un centre de recherche biomédicale rattaché au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), au CHU de Grenoble-Alpes, à l’Inserm et à l’université Grenoble-Alpes.
Le prototype, issu de dix ans de recherches de plusieurs équipes, repose sur des électrodes implantées dans le crâne, qui vont « capter les signaux envoyés par le cerveau et les traduire en signaux moteurs », décrit Alim-Louis Benabid, professeur émérite à l’université Grenoble-Alpes.
Entraînement sur simulateur
Chez les paralysés des quatre membres à la suite d’une fracture de la colonne vertébrale, « le cerveau est toujours capable de générer les ordres qui habituellement font bouger les bras et les jambes, mais il n’y a personne qui les exécute », poursuit le spécialiste de neurochirurgie, auteur principal d’une étude publiée jeudi 3 octobre dans The Lancet Neurology.
Les blessures de la moelle épinière entraînent une tétraplégie chez environ 20 % des patients. Le cas de Thibault est une « preuve de concept » : les chercheurs ont montré qu’il était possible de capter correctement cette activité électrique de façon continue et de la transmettre quasi en temps réel et sans fil vers l’ordinateur qui les décode.
Mais le chemin est encore long avant de pouvoir utiliser cet exosquelette dans la vie de tous les jours. Le jeune homme, à qui on a implanté les électrodes il y a un peu plus de deux ans, s’est entraîné chez lui pendant plusieurs mois sur un simulateur : grâce à son implant, il est parvenu à faire réaliser des mouvements à un avatar virtuel sur l’écran de son téléviseur. Il explique :
« J’ai dû réapprendre petit à petit. La plasticité cérébrale fait qu’on retrouve les ordres à envoyer pour obtenir les bons mouvements, de manière beaucoup plus souple, beaucoup plus naturelle. »
Il s’est ensuite rendu trois jours par mois à Grenoble pour faire les mêmes exercices directement sur l’exosquelette. Résultat : il peut avancer les jambes du robot, plier le coude, lever les épaules… « Je ne pensais pas qu’on pourrait aller aussi loin », assure-t-il, confiant son « plaisir » à « pouvoir faire avancer la science », en dépit de la fatigue liée à ces entraînements et du chemin restant.
« On est dans l’“homme réparé” et pas l’“homme augmenté” »
Un autre patient se verra implanter des électrodes en novembre, suivi de deux autres dans les prochains mois, précise le professeur Benabid. La suite de l’essai clinique permettra d’acquérir la capacité de saisir un objet avec la main ainsi que d’améliorer l’équilibre de l’exosquelette, le gros point faible de tous les robots de ce type. « Cela nécessite des calculs très lourds et des temps de réaction très rapides, sur lesquels on est en train de travailler, en utilisant l’intelligence artificielle », explique le chercheur.
Dans un premier temps, cette interface pourrait permettre d’ici quelques années aux personnes tétraplégiques de diriger leur fauteuil roulant ou de guider un bras motorisé, qui améliorerait considérablement leur autonomie, espère-t-il.
« Ce n’est pas du transhumanisme : on répond à un problème médical, un corps humain qui a été blessé et qui a des déficits. On est dans l’“homme réparé” et pas l’“homme augmenté” », insiste le professeur, renommé notamment pour ses travaux sur la stimulation cérébrale profonde et la maladie de Parkinson.
D’autres équipes de chercheurs ont déjà implanté des électrodes pour stimuler par le cerveau les muscles de patients paralysés ou amputés, un domaine en plein développement appelé « interface neuronale directe » ou « interface cerveau-machine ». Mais l’étude du professeur Benabid est la première à utiliser directement les signaux du cerveau pour contrôler un robot exosquelette.
Source : Le Monde