Mobilisé pour ses clients fabricants de respirateurs artificiels durant l’année 2020, le plasturgiste basque Somocap a initié en parallèle la conception collaborative d’un masque anti-covid durable. Retour sur 24 mois exceptionnels à maints égards.
Fabrice Sorhouet s’en souvient comme si c’était hier :
« Nous avons senti les prémisses de la crise sanitaire dès fin 2019, puis la demande est partie en flèche, début 2020, lorsque notre client Air Liquide a commandé en masse des pièces pour ses appareils d’assistance respiratoire. Et peu de temps après, notre client américain a suivi. Entre mars et août 2020, nous nous sommes dédiés exclusivement à la fabrication de ces pièces, y compris la nuit », se remémore le président de Somocap.
L’année 2020 restera dans les annales comme exceptionnelle pour cet industriel de Jatxou (Pyrénées-Atlantiques), qui conçoit, en temps normal, une multitude de pièces en caoutchouc, plastique et composite pour 160 clients, majoritairement de la région, dont Lectra (machines industrielles), Fonroche Lighting (éclairage public), Abridéal (abris de piscines) ou encore Etché Sécurité (bottes de sécurité). Exceptionnelle sur le plan financier tout d’abord : « Notre chiffre d’affaires a bondi de +30 %, à 6,1 millions d’euros et nous estimons qu’autrement, il aurait baissé de -10 %, car la dizaine d’autres marchés étaient à l’arrêt. L’an dernier, nos ventes ont progressé de +7 %, par rapport à 2019 », détaille le dirigeant.
Toutefois, pour la famille Sorhouet – car outre Fabrice, sa sœur Nathalie (ressources humaines, logistique) et, depuis deux ans, sa femme Stéphanie (marketing, commercial) travaillent dans l’entreprise- l‘ »année Covid » a surtout été exceptionnelle sur le plan humain et stratégique. C’est l’année où l’entreprise de sous-traitance, fondée par le père Jean-Michel en 1990, s’est lancée véritablement dans la conception de ses propres produits. « Comme d’autres fabricants à l’époque, tels que Michelin, nous avons voulu imaginer un masque non-jetable, mais aussi esthétique, confortable et fabriqué dans la région ou en France », détaille Stéphanie Sorhouet.
Une démarche collaborative
Un aspect non-négligeable du projet Respi, nom retenu pour le masque, est que Somocap a souhaité le mener, pour la première fois, de façon collaborative. L’aventure a débuté avec le fabricant de moules voisin Olaberria (Ustaritz), puis la CCI de Bayonne a aidé à trouver des financements, auprès de la Région Nouvelle Aquitaine, et des partenaires, designers et fournisseurs. Car si Somocap fabrique la parte principale du masque en silicone, lavable en machine et au lave-vaisselle, les accessoires ne proviennent pas toutes du Pays basque : le filtre en tissu, provenant d’Amiens, est imprimé et découpé par ATS (Mauléon), les cordons élastiques sont conçus par Promotress à Ambert (Puy-de-Dôme), l’assemblage est réalisé par l’Esat Celhaya de Cambo-les-bains et le packaging par Larre (Bayonne).
« Au fil des mois, nous avons appris à nous connaitre, à travailler ensemble et à imaginer la pièce, plus complexe que prévu avec la nécessité de l’adapter à la morphologie des visages. Surtout, avec chacun en parallèle nos clients à servir, nous n’avions pas les moyens humains ni financiers d’un grand groupe », souligne Fabrice, qui, avant de prendre les rênes de l’entreprise familiale avec sa sœur en 2014, a travaillé chez Safran, à côté de Bordeaux.
Vente directe
Le collectif est allé jusqu’au bout et depuis janvier 2022, au lieu de juin 2021 prévu, leur masque est en vente, à 35 euros, sur leur propre site. « Encore une innovation pour nous », sourit Stéphanie, précisant que ce prix inclut dix filtres lavables. Soit un coût de revient de 19 centimes par jours, calcule-t-elle, contre 12 centimes pour deux masques jetables. Trop pour la grande distribution, avec qui les contacts n’ont pour le moment pas abouti. D’autant plus que le masque est désormais tombé dans de nombreux lieux, mis à part les hôpitaux et les transports en commun.
« Nous avions bien conscience que la pandémie pouvait ralentir. C’est pour cette raison que le masque -aujourd’hui classé FFP1 mais avec une classification FFP2 à l’étude – est évolutif et sert à protéger du virus comme de la poussière ou de la pollution. Les cyclistes, par exemple, portent de plus en plus le masque, dont le prix est plus élevé d’ailleurs, notamment parque le frein d’en porter un a été levé », ajoute la responsable commerciale, qui poursuit sa recherche de distributeurs. Le couple ne cache toutefois pas sa déception d’avoir vu le soufflet en quelque sorte retomber aussi vite : même si le collectif ne comptait pas sur les commandes publiques, il avait espéré un peu plus de soutien.
Mais plus que dans le rétroviseur, Fabrice et Stéphanie Sorhouet ont avant tout le regard tourné vers l’horizon, où la construction d’une troisième usine (2.500 m2) à Villefranque (Pyrénées-Atlantiques), en plus de celle de Jatxou et celle, plus petite, de Bardos (Pyrénées-Atlantiques), se profile en 2024. « Nous investissons régulièrement ici, dans des machines, dont ces deux qui fabriquent les masques Respi, mais aussi des robots et cobots afin de tourner la nuit et de soulager ou remplacer des taches pénibles », explique-t-elle, précisant avoir beaucoup de mal à recruter (50 postes ouverts).
Aujourd’hui, les principaux concurrents de l’industriel basque étant au Maghreb et en Europe de l’Est, Fabrice Sorhouet espère que la hausse des prix de la logistique et de l’énergie, mais aussi les tensions géopolitiques, motiveront d’autres entreprises à se fournir en France. « Mon père s’était focalisé sur les pièces techniques, puisque les délocalisations pour les pièces en caoutchouc grand public avaient déjà commencé », rappelle le dirigeant. Une chose est sûre : ces deux dernières années, la conviction que l’heure est au made in France et aux projets collaboratifs s’est forgée chez Somocap. Et c’est bien pour cette raison que le plasturgiste figure parmi les huit industriels fondateurs de l’association « Pays basque Industries » qui a vu le jour fin 2019, mais n’a pu être présenté que le 15 mars 2022. Son objectif : faire mieux connaître le secteur, ainsi que favoriser les échanges entre les différentes entreprises et avec les élus locaux.
Source : La Tribune Bordeaux