Investissements massifs, recrutements : depuis plusieurs années, et avant même l’effort public pour relocaliser en France la production de médicaments, la filière pharmaceutique régionale se porte bien. Petit check-up de la santé du secteur alors que l’indépendance sanitaire, avec «l’affaire» Doliprane, est plus que jamais d’actualité…
Il aura fallu une pandémie pour ne plus taire une maladie que l’on savait grave : la France ne produit plus assez de médicaments, spécialités innovantes comme molécules essentielles. La conséquence d’une crise ? Plutôt, retrace Etienne Vervaecke, directeur d’Eurasanté à Loos, « une démarche délibérée de l’industrie pharmaceutique d’externaliser des parts importantes de ses fonctions de production au bénéfice de sous-traitants », implantés hors de France et d’Europe. Un mouvement qui s’est conjugué à la fuite des effectifs de recherche et développement vers les États-Unis. Plus précisément, 40 % des médicaments commercialisés dans l’Union européenne proviennent des pays tiers, tandis que 60 % à 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont produits en Chine et en Inde. Et l’affaire Sanofi, qui veut céder à un fonds américain le contrôle de son entité de santé grand public, Opella, qui commercialise le Doliprane, met plus encore en exergue cette problématique.
Soutien public
Résultat, en 20 ans, l’industrie pharmaceutique est passée de 130000 salariés à 98000, selon les chiffres du LEEM, qui regroupe les entreprises du médicament. Alors, au lendemain de la crise sanitaire, l’État a sorti le carnet de chèques, et aidé l’outil à se moderniser, les entreprises à se développer. France Relance et le plan France 2030 ont conduit à soutenir de nombreux projets. Avec dans la région en 2021 une aide pour ce qui s’appelait encore Carelide à Mouvaux (avant sa reprise par Aguettant et Delpharm) et qui est le dernier producteur de poches de perfusion, notamment de paracétamol ainsi que pour Minakem à Beuvry-la-Forêt. Et en 2023, l’extension d’Interor à Calais (intermédiaires pharmaceutiques, notamment en anesthésie réanimation, en cardiologie et en oncologie) a conduit à un nouveau coup de main financier.
Ces aides, accordées à la suite du Covid, la région n’a pas été la seule à en profiter. Mais dans un contexte de rattrapage d’une industrie perdue, les Hauts-de-France n’offraient pas vraiment le même tableau. Alors que la France perdait des emplois, « la région a même connu une tendance inverse », indique Etienne Vervaecke. Les deux derniers grosses annonces d’investissements étrangers en France, dévoilées lors du dernier sommet Choose France à l’Elysée, témoignent de cette dynamique : 365 millions débloqués par l’anglais AstraZeneca dans son usine de Dunkerque, où il produit des aérosols pour le traitement de l’asthme et de la bronchopneumopathie chronique obstructive, mais aussi une part des 140 millions que GSK va consacrer à son outil de production en France, notamment à Saint-Amand-les-Eaux.
Investissements massifs
C’est justement à GSK que l’on doit beaucoup dans la prise d’importance de la filière nordiste de la pharmacie. A l’origine de sa présence dans la région, il y avait une petite entreprise, Sterilio, avec 70 salariés, vendue à ce géant britannique GSK qui en a fait une usine à vaccins parmi les plus imposantes de son parc. En quinze ans, la PME s’est muée en une unité de plus de 1000 salariés. De quoi faire grimper les statistiques de la branche dans les Hauts-de-France : 32000 salariés pour les activités de santé-nutrition dont plus de 11200 salariés pour l’industrie pharma-biotech. Il y a d’autres beaux exemples en la matière : quand le LFB, laboratoire spécialisé dans fractionnement du plasma pour en faire des médicaments pour l’immunologie et coagulation, déjà présent à Lille, décide il y a une douzaine d’années d’augmenter sa capacité, il crée son usine à Arras, avec 600 emplois d’un coup. Autant de briques qui constituent une industrie forte avec de grands noms comme Merck à Calais qui s’ajoutent aux autres références du secteur.
Région d’industrie, au sens large, le territoire est aussi riche de filières dérivant de la chimie ou de l’agroalimentaire, connectées à la pharmacie. Le développement des unes rejaillit sur l’autre et inversement. La chimie fine appliquée à la pharmacie compte de beaux fleurons dans notre territoire et cela fait sa singularité. Ainsi, Minakem emploie plus de 500 personnes à Beuvry-la-Forêt et à Dunkerque. « Il y a dix ans c’était trois fois moins » dépeint le directeur d’Eurasanté. Et au-delà de la synthèse de principes actifs, la filière compte dans la région des façonniers, qui mettent en oeuvre les molécules, comme Delpharm à Lys-lez-Lannoy, Baxter à Fretin, Athena Inpharmasci à Prouvy…
Et parmi les plus beaux représentants de ceux qui ajoutent leur pierre à la production des médicaments, pas dans sa molécule active mais dans ce qui conduit à la bonne absorption du traitement, il y a celui qui est devenu le leader mondial des excipients, Roquette. Géant de l’amidon et autres produits végétaux que l’on retrouve dans une bonne partie de notre alimentation, a affiché en tête de ses activités celle liée à la pharamacie, développées en interne et à grands coups d’acquisitions. « Nous avons aussi des entreprises dont la singularité du savoir faire n’a d’égal que leur discrétion. Comme SIO à Saint Laurent Blangy, qui à partir d’extraits d’huiles font des excipients pour les formes liquides pharmaceutiques. »
Faire mieux
La région, comme l’industrie pharmaceutique à l’échelle du pays, a certes des trous dans la raquette (comme par exemple sur le segment de la biosanté, avec des traitements issus du vivant et non pas de la chimie). Mais elle profite du mouvement impulsé dès le début des années 90. A l’époque, la recherche d’un labo pharmaceutique était 80 % faite en interne et 20 % en externe. « Aujourd’hui, c’est 30 % interne et 70 % externe. Il faut voir la relation symbiotique entre petites boîtes qui prennent des risques et développent des médicaments conçus souvent au sein de labos académiques et font avancer vers la validation préclinique puis clinique. » Des traitements qui arrivent ensuite dans les mains des géants du médicament qui leur donnent une diffusion mondiale. Un des bons exemples régionaux, c’est le partenariat entre Genfit et laboratoire Ipsen. Ce traitement contre les affections sévères du foie (qui vient d’être agréé par la FDA, l’autorité américaine du médicament) a vu ses droits commerciaux pris par Ipsen, ce qui donne plusieurs années de visibilité à Genfit pour développer d’autres médicaments.
Un atout : la main d’oeuvre disponible
L’atout de la région, c’est d’être en capacité de fournir de la main d’oeuvre. Et à tous les niveaux de qualification. «La faculté de pharmacie de Lille est parmi les universités françaises celle qui produit le plus de pharmaciens d’industrie», souligne Etienne Vervaecke. «Il y a une une tradition industrielle dans la région et cela se sait. Eurasanté apporte sa pierre pour repositionner des personnes de l’agroalimentaire ou de l’automobile vers la pharamacie. Cela rend la région intéressante sur le plan du capital humain.»
Ainsi, «on a accompagné il y a un an et demi West Pharmaceutical, qui a un site qui concourt au développement de vaccins. Ils ont eu un plan d’investissement pour recruter 70 personnes dans l’Aisne. Ils ont galéré pour trouver les personnels et nous ont activés pour une cellule de recrutement. En trois-quatre moins nous les avons trouvés! Pas sûr que dans d’autres régions, qui n’ont pas l’habitude de travailler dans le domaine industriel, on aurait pu le faire.» Et c’est dans cette idée de fournir plus efficacement du personnel qu’a été implantée par IMT à Eurasanté une véritable école-usine. Le territoire manquait de profils d’opérateurs de production, d’agents de maintenance pour la pharmacie. La structure, ouverte en 2023 sur le modèle de ce qui avait été fait dans deux autres bastions de la pharmacie (Tours, Lyon), peut désormais former des personnes en contrat d’apprentissage, en contrat de qualification ou des demandeurs d’emploi.
Source : La Voix Du Nord